au son de l'épée mousse la bière
vikart & ulvar

Tu es allongé sur le sol. Tu peux sentir le froid dans ton dos, cette vague s’immisçant dans tes muscles, tes os, ta chair. Ton esprit. Puis la douleur, là où cette lance t'as transpercé de part en part, mais aussi des autres petites coupures décorant ton corps. Le goût du sang, métallique, emplissant ta bouche. L'odeur de la décomposition, de la douleur, de la mort. Partout. Tout est noir, mais tu peux sentir les corbeaux rôder, se repérant aux cris, aux hurlements. Avant que leurs becs pointus comme des épées ne viennent goûter à ton sang. Et tout à coup tu te réveilles, le corps trempé de sueur. Ton coeur galope à vive allure, ta poitrine se soulevant à un rythme fou. Un cauchemar. Encore un. Un souvenir des instants les plus noirs de ta vie. Repoussant les peaux au pied du lit, tu vois Blodar qui te fixe de ses yeux ambrés, attentif, inquiet, son corps chaud collé contre toi. Il fait toujours ça pendant tes cauchemars. Tu poses ta main sur son imposante tête, rassuré par sa présence. Le soleil n'est pas encore levé. Mais tu ne veux pas t'éterniser au lit. De toute façon le sommeil ne viendrait pas. D'autant plus que tu te réjouis de croiser le fer avec Vikart ce matin. Autant te préprarer.

...

Tes muscles commencent à brûler, mais ça ne fait qu'augmenter ton envie d'en découdre avec Vikart. Tu peux sentir le filet de sueur couler le long de ton dos, mouiller et alourdir le tissu. Avec bien des frères les entraînements se terminent avant ce stade. Mais pas avec le Maître de la Svart Brotherhood. Avec lui tu es poussé dans tes derniers retranchements, tant physiques que mentaux. Tu le respectes profondément, tu lui es indéfectiblement loyal. Et pourtant cela ne t'empêche pas de tout donner, de faire appel à toute ton expérience et à tes capacités pour tenter de le toucher, de le désarmer. C'est serré, et pourtant tu n'abandonnes pas. Deux fois sa lame non-tranchante t'as touché. Tu peux encore sentir la morsure de la douleur te rappeler sa supériorité sur toi. En combat, lors d'un raid, tu serais en train de rejoindre le Valhalla. Alors en pensant à ça tu te lances dans un autre assaut, feintant, parant, avant de contre-attaquer.

Vikart présidait à la cérémonie des plus vaillantes recrues de la Svart Brotherhood, qui allaient recevoir en ce jour la fameuse épée d’acier. Le Commandant ne l’avouera pas haut et fort mais il était envieux. Ces hommes allaient partir en raid, et se battre pour obtenir la reconnaissance des Dieux, pour soumettre l’ennemi, pour obtenir des richesses ou des femmes, pour tremper cette fameuse lame dans un sang impur – en offrande aux Dieux. Et lui, il allait rester là, à entraîner de nouvelles recrues débutantes – des garçons qui n’avaient bien souvent pas pris une seule épée en main –, à périr dans ces murs. Ce titre était à la fois une Bénédiction et une Malédiction, un cadeau de son frère aîné qu’il ne savait s’il était empoisonné ou non.

Des pensées sombres qu’il décide de chasser en prenant personnellement en main l’entraînement d’un homme : Ulvar Iversen. Beaucoup le pensait mort pendant de longues années, toutes ces personnes s’étaient lourdement trompées. Il avait survécu en terre ennemie et avait réussi à retrouver son chemin jusqu’à ses terres natales. Une histoire qui n’était ni si rare, ni si commune, mais une histoire qui savait toujours subjuguer l’auditoire, Vikart compris. Cependant, ce dernier ne voyait pas là une histoire divertissante – comme beaucoup – mais davantage une opportunité. Avait-il pu observer quelques us et coutumes, compris leur stratégie guerrière, déceler une faiblesse dans leur fortification, trouver un trésor considérable ?

Vikart aurait pu attaquer ce sujet immédiatement mais sa fonction lui avait appris – bon gré, mal gré – à être patient. Il devait tout d’abord entraîner l’homme revenu de terres inconnues, et seulement après l’inviter à table pour discuter de cette aventure. Alors, cachant ses véritables intentions, le Commandant se pare de sa simple tenue d’entraînement – tout en toile, avec peu de cuirasses ou protections –, portant à la ceinture son épée émoussée spécifiquement pour l’entraînement – incapable de trancher, mais capable d’offrir quelques légères éraflures. La suite n’est qu’un acte répété, encore et encore. La recrue arrive, il l’accueille. Il donne les consignes, la recrue écoute. Il se met en garde, claque de la langue et le ballet guerrier débute.

- Surveille les jambes. Il suffirait que j’esquive et que je donne un coup à ton dos, indiqua Vikart lorsqu’il sent qu’Ulvar va contre-attaquer avec force et détermination. Le quadragénaire ne tarde pas exécuter le mouvement qu’il venait de découvrir, cherchant à voir si son opposant avait entendu ou non ce qu’il venait de dire et s’il avait pris les dispositions nécessaires pour une telle éventualité.

Lorsqu’il était calme, Vikart savait être un bon maître d’armes. Lorsque la nervosité l’étreignait – un manque ou une lubie passagère –, l’entraînement se parait d’un tout autre drapeau : la peur, et l’acharnement. La première facette construisait une assurance, la seconde facette l’opposant à ses derniers retranchements et à révéler la force profonde enfouie en elle pour survivre au monstre. Sa réputation n’était donc plus à faire.

Cependant, Vikart ne put s’empêcher de remarquer l’aisance dans le maniement de l’épée de cet homme mais une certaine maladresse dans les mouvements de son corps. Si jusqu’à maintenant le Commandant avait réussi à la toucher, c’était dû principalement à l’agilité de son corps, maintenu avec un entraînement rigoureux et continu.