A chaque fois que Vikart approchait de la résidence de son frère aîné, il était envahi de pensées bien noires. Irrémédiablement, il repensait à toutes ces années où il n’a été que l’ombre de son frère et à tous les sacrifices faits pour quitter cet anonymat qui le pesait : la promesse de célibat, le déchaînement et la fureur déployés lors de raid, la perte d’une forme de clairvoyance au fur et à mesure de ces multiples combats… Lorsqu’il pensait avoir achevé son parcours, et enfin accéder à une forme de reconnaissance, il a été nommé Commandant de la Svart Brotherhood par Markvart. Soudainement, il n’était plus Vikart le Sanglant. Il n’était plus qu’un Commandant de la Confrérie Noire, comme tant d’autres avant lui, et comme tant d’autres après lui.

Malheureusement, il n’était pas habité uniquement par de mauvaises pensées en approchant de cette résidence. Une boule se formait aussi, au creux de son estomac. Il avait peur, de ce qu’il allait trouver. A qui allait-il faire face ? Si les humeurs de Markvart ou de Vala ne le touchaient plus, l’affaire était tout autre avec ses neveux, nièces, frère ou sœur. Allait-il assister à une autre folie de Svanhilde – une folie similaire qu’il aurait déployée par le passé ? Allait-il encore argumenter avec sa jeune nièce Sjoen ? Allait-il croiser le regard de son neveu, unique héritier de Markvart ? Ou encore, devait-il encore argumenter longuement, de long et en large, avec sa sœur qu’une femme n’avait pas sa place sur un champ de combat ? La peur, voilà ce qui l’habitait. La peur que la graine de folie qui habite chaque membre de cette famille ou tous hideux secrets ne se sache par tous.

Une peur justifiée car à peine avait-il mis pied en ces lieux, qu’il entend au loin quelque chose se briser à même le sol. Sans tarder, à grande enjambée, il se dirige vers la source de ce bruit et découvre derrière un rideau de soie sa nièce Svanhilde. Elle le reconnaît à son tour, et l’accueille comme à son habitude : perdue et sincère à la fois. Pourtant, Vikart ne la juge pas de son regard. Au contraire, il ne lui offre qu’un doux regard paternel, ce regard qu’il aurait pu offrir à la chair de sa chair s’il n’avait pas fait vœu de célibat.

- Je veux bien mais je boirais avec un verre. Il faut savoir apprécier la boisson, répondit-il, ne la quittant pas des yeux.

Il cherchait à savoir dans quel état second cette demoiselle s’était plongée. Quelques secondes suffirent. Les premiers effluves effleurèrent ses narines, dirigeant son regard tantôt sur le sol couvert de vins, tantôt sur sa nièce qui semblait ne faire qu’un avec ladite odeur. Il se doutait qu’elle était soûle. Aussitôt, il se promit de n’avaler qu’une gorgée de son verre, et prétendre ensuite les heures qui vont suivre qu’il boit. En vérité, il ne portera que le verre à ses lèvres, et le vin touchera à peine lesdites lèvres. Il fallait qu’il garde la tête au clair avec elle. Il savait de quoi elle était capable, car il était comme elle, et elle était comme lui. Ils étaient semblables. Une similarité qui le peinait : il aurait voulu être le seul à porter ce fardeau au sein de la famille.

- Assieds-toi ici, en face de moi.

Il se pose à sa gauche, lui indiquant une place, loin des éclats de cruche.

- Que s’est-il passé ici ? demanda-t-il calmement.