Il l’avait quittée depuis plusieurs mois déjà, pourtant la mélancolie poussait encore Keetja à traîner autour de la Svart Brotherhood, où elle attendait autrefois son amour durant ses entraînements, avant de se perdre dans ses bras lorsqu’il en sortait, éreinté mais satisfait de cet enseignement réservé aux hommes que tous – même les femmes – rêvaient de suivre. La jeune femme, frigorifiée et fatiguée, s’apprêta à faire demi-tour lorsqu’elle aperçut une silhouette qu’elle connaissait bien, et qui n’avait strictement rien à faire là. Non, une femme n’avait pas à sortir de la Svart Brotherhood tard dans la nuit, fille du Jarl de Skogkatt ou non. C’était d’autant plus troublant que le Jarl lui-même interdisait l’accès de ce lieu aux filles de Freya. Keetja hésita à tourner les talons et faire comme si elle n’avait rien vu : il y avait sûrement une très bonne explication à cette apparition inattendue. Pourtant, sa curiosité et son impulsivité juvénile la poussèrent à rester plantée au milieu du chemin boueux qui reliait le village à la Svart Brotherhood, et elle barra la route à Frida Ødegard. Son regard clair scruta le doux visage rond de la jolie blonde ainsi que sa tenue – ses muscles étaient tendus, ses cheveux en bataille. Ce n’était sûrement pas une visite de courtoisie rendue aux quelques rares combattants qui restaient en ces lieux à une heure pareille. « Bonsoir. » souffla Keetja. Elle resserra la fourrure de la cape qui recouvrait sa robe carmin autour de ses épaules, avant de continuer : « Je me demande bien ce que Frida Ødegard peut faire à la Svart Brotherhood en pleine nuit. » Un sourire espiègle naquit sur ses lèvres. La raison était évidente. Un vent de jalousie et de colère s’empara d’elle ; ce monde n’était-il pas déjà assez injuste pour que ceux qui avaient déjà tout profitent de leur statut et leur nom pour accéder à d’autres privilèges, plus grands encore ? Keetja appréciait les Ødegard – ayant une relation plus que cordiale avec la majorité d’entre eux. Mais pouvait-elle accepter ça ? « J’imagine qu’il y a une très bonne raison, n’est-ce pas ? Une femme, même – et surtout – la fille du Jarl n’a pas le droit de devenir une guerrière à la Svart. » Keetja fit quelques pas vers elle, son regard azur-émeraude ne quittant pas le sien. Elle était un peu plus grande qu’elle, quelques centimètres à peine. Elle ne faisait certainement pas peur à Frida, mais elle espérait qu’elle comprenne l’ampleur de la menace qui pesait sur ses épaules. Parce que Keetja n’était pas sa sœur, elle n’était pas quelqu’un de bien. La jalousie, notamment, la faisait réagir de façon particulièrement imprévisible. Une idée commença à naître dans son esprit, soulageant quelque peu les battements agressifs de son cœur, apaisant la colère qui serrait son ventre. Elle laisserait néanmoins à Frida l’occasion de se défendre – sans garantie qu’elle croit à ses histoires.