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clan iversen

Tu as peur. Tu préférerais affronter une horde de saxons seul, l'épée à la main, que ce que tu t'apprêtes à faire. Et d'un côté tu n'as qu'une envie, courir jusqu'à cette ferme, de toute tes forces, serrer ces êtres chers, les sentir contre toi. Tu n'es à Ofeigatt que depuis ... moins d'une heure. Le carré de tissu attaché avec une corde contenant tes maigres effets personnels accroché au dos, ton épée à la ceinture. Et ta fierté. Ta fierté d'avoir survécu trois ans en territoire ennemi, hostile, mortel. Abandonné à ton sort, remis entre les mains des Dieux par ton père, tu es enfin rentré. Longtemps tu t'es imaginé en train de planter ton épée dans son ventre, abreuvant ta lame de son sang. Puis tu as appris pendant ton retour qu'une blessure à la jambe s'est infectée, l'obligeant à subir l'horreur d'une amputation. Désormais invalide, empêché de participer aux raids, de vivre sa vie de guerrier, tu as estimé que cette punition divine valait plus que ta propre vengeance. Mais tu ne peux ignorer cette colère qui gronde en toi. Abandonner son fils. Ne pas prendre la peine de vérifier si ton coeur battait encore lorsque se retournant, il a couru jusqu'au drakkar, mettant les voiles vers la haute mer.

Et pourtant tu te tiens là, aux limites du domaine familial. Là où, depuis des générations, les Iversen élèvent des chevaux. Là où ils grandissent, vivent, et transmettent leur savoir aux prochains. C'est entre ces deux barrières que trois ans plus tôt, tu es passé d'un pas déterminé, équipé pour la guerre, confiant en la protection des Dieux, qu'ils donneraient la force suffisante à ton bras pour qu'aucun adversaire ne te résiste. Mais c'est aussi grâce à eux que tu es revenu. Que tu as survécu. Alors en avançant vers la ferme, tu as peur. Peur de la réaction d'Áine. Tu sais qu'elle gère maintenant la ferme à la place de ton père. Tu la sens faite pour ça. Et pourtant tu as peur de sa réaction lorsqu'elle te verrait. Pourquoi ? Tu l'ignores. Mais c'est comme ça. Et Solvej ? Plus sauvage, moins encline à rester tranquillement à s'occuper des chevaux. Tu te réjouis de les voir toutes les deux, de voir leurs visages lorsqu'elle t'apercevraient. D'autant plus qu'aucun messager n'est venu annoncer ton arrivée. Tu as insisté auprès du capitaine. Alors quand tu vois deux silhouettes au loin, tu les reconnais. Les larmes te mouillent les yeux, mais tu te retiens. Un guerrier ne pleure pas. Et tu continues d'avancer, déterminé. La peur et la joie se mêlent en toi. Mais tu avances. Elles sont de dos, elles ne peuvent pas te voir. Elles sont en train de s'occuper d'un cheval. Alors une fois relativement prêt de tes soeurs, tu hésites. Ton coeur se serre, tout en battant tel un étalon au galop. Tu déglutis. Une grande inspiration. Et tu te lances. « Áine. Solvej. » Tu te rends compte de ta voix tremblotante. Loin de l'image du frère victorieux revenu d'entre les morts, auréolé de prestige. Imbécile.

Dans la matinée, Solvej était partie à cheval. Avec son préféré... Un cheval d'une sublime robe noire. Parfois indomptable, un peu comme elle. Elle avait fait une pause au bord d'une rivière, était allée boire de son eau avant de se remettre en selle, encourageant le cheval pour reprendre le chemin de la maison. Autant que possible, Solvej évite d'y être. Épuisée des tensions avec sa sœur, parce qu'elles ne se comprennent pas. Elle ne comprend pas vraiment pourquoi elle tient tant à tenir l'élevage, mais ne lui reproche pas, alors qu'Aine le fait constamment, à ses yeux, voyant sûrement ses rêves comme des choses idiotes. C'est le sentiment qu'a Solvej en tout cas, exagérant sûrement certaines choses. Où est le temps où leur frère les entraînait toutes les deux, en secret ? Aine semblait aimer ça, elle aussi. Aujourd'hui, c'est comme s'il ne restait plus rien de cette époque... Entre la blessure de leur père, la mort de leur mère, et la disparition de leur frère. Comme si le sort s'abattait sur eux. Elle y pense beaucoup, sur le chemin du retour. Cette époque lui manque vraiment. Enfin arrivée, elle regagne le sol, raccompagne le cheval auprès de ses congénères. Elle reste près de lui pour le caresser, Aine étant non loin de là. Elle n'entend pas les pas dans leur dos... Mais ne tarde pas à entendre cette voix, si familière et si étrangère à la fois. Elle croit rêver, ne se tourne pas tout de suite, comme si cette voix faisait écho à ses pensées, au cours de la balade. Elle se tourne, finalement. Elle le voit, cligne des yeux plusieurs fois. Et elle avance, assez pour combler la distance entre eux, lentement. Elle le regarde encore, se demande si ce n'est pas qu'un leurre. L'image d'un disparu qu'on fait apparaître pour la punir de quelque chose. Elle est assez près de lui, et suffisamment de temps s'écoule pour que ce ne soit pas qu'une image. Elle n'en revient pas... N'y croit pas parce qu'il avait perdu la vie au combat. Elle n'avait jamais remis cela en doute, en avait souffert et encore aujourd'hui, elle ne s'en était pas remise. Et si tout rentrait dans l'ordre, avec son retour ? Si tout redevenait comme avant ? Avec moins de douceur cette fois, elle se blottit contre lui, pour s'assurer qu'il est bel et bien là. Aucun mot ne sort non. Aucun mot n'est assez adapté à la situation. Et elle pleure en silence, s'accrochant à ses vêtements. Elle ne comprend pas, et espère à la fois, qu'il sera fier quand il saura qu'elle a continué à s'entraîner.