1. Elles étaient nées menues, à peine plus lourdes qu'une livre de beurre et pourtant animées d'une force de vivre, des battantes. Dans la petite cité nordique, on racontait que ces jumelles seraient à jamais bénies des Dieux. Leurs survies étaient de bon augure pour les villageois, comme quoi, peut-être qu'enfin leurs prières avaient été entendues? Elles grandissaient pour être aussi fortes et courageuses que leurs frères, une paire redoutable qui, comme peu de femmes, aspirait à plus qu'une vie simple et sédentaire.

2.  L'une palliait aux faiblesses de l'autre, dans le jeu comme dans la tactique, dans les combats amicaux comme dans la séduction. Les jumelles Kolstheim se jouaient de leurs ressemblances et de leurs différences. Toutes les deux entêtés comme des mules, les deux gamines ne manquaient jamais l'occasion de prendre des risques afin de gouter aux frissons de l'aventure.

3. Vint cet affrontement contre les brigands, devant lesquels les guerriers les plus aguerris du village tombèrent comme des mouches.  Sans peser les conséquences de ce qu'elles s'apprêtaient à faire, Sneafrid et Norveig prirent les armes refusant d'être délibérément tuées sans même avoir tenté de se défendre. Trop peu nombreux faces à ces malfrats, elles n'eurent jamais l'occasion de fuir et furent faites prisonnières.

4. Elles étaient belles, jeunes, un peu farouches, mais d'une valeur inescomptable. Les bandits voyaient en elles une opportunité d'affaire lucrative. Deux esclaves pour un prix ridiculement bas. Ils croyaient pouvoir s'en débarrasser rapidement mais l'une s'avéra être plus difficile que l'autre. Plus le temps passait, Norveig disparaissait dans le silence alors que Sneafrid s'entêtait à résister.

5. Vidar Jorgurson, un riche homme connu par son nom et son prestige dans tout Offeigatt venu à elles. S'il caressa l'idée de s'encombrer de deux esclaves, il fut rapidement refroidi par le caractère effronté de Sneafrid. Même si elle paraissait faible, amaigri et malade, il préféra n'acheter que Norveig. Séparant ainsi les soeurs, les arrachant l'une à l'autre. Réduisant à néant les chances qu'elles se retrouvent un jour.

6. Son propriétaire fut sans pitié dès le premier jour. Il ne négociait pas ses demandes et ne tolérait pas le moindre refus d'obtempérer. D'abord incapable d'accepter son sort, Norveig tenta par tous les moyens de lui tenir tête. Elle refusa de manger. Elle tenta de s'enfuir. Elle voulut le tuer, mais paya cher ses offenses. Affamée, attachée, rabaissée, molesté cruellement et violée. Souffrante, brisée, effrayée, Norveig se noya dans la peur et apprit rapidement qu'en se comportant bien, son calvaire serait moindre.

7. Peu à peu, Norveig gagna la confiance de son maitre se voyant ainsi octroyer plus de liberté. Dès qu'il comprit qu'elle ne tenterait pas de l'empoisonner, il la laissa cuisiner. Dès qu'il comprit qu'elle ne tenterait plus de s'enfuir, il lui donna le droit d'aller faire les courses. Vidar la manipulait. Il se jouait d'elle, usant pernicieusement sa peur et la menaçant au gré de ses désirs. En contrepartie, il la récompensait en lui offrant des robes, des bijoux scintillants. Il l'invitait à partager ses repas et lui faisait délibérément la cour sous l'œil réprobateur de sa femme de l'époque. Vidar était capable du pire comme du meilleur, de violence comme de tendresse...

8. En dépit de la nouvelle générosité de son hôte, Norveig sombra dans la mélancolie. Son existence se voyait dépourvu de sens. Sa famille, sa jumelle, sa vie, ses ambitions, son identité, sa liberté.... Il ne lui restait plus que cette enveloppe physique, le dernier chatoiement d'une femme disparue. À deux fois, elle tenta de s'enlever la vie. La première fois en ingurgitant une quantité impressionnante d'Hellebore Noir, pour suffoquer, vomir, s'effondrer et se réveiller le lendemain en piteux état, mais toujours vivante...

9. Forcée de constater les bouleversements physiques de son corps, elle nia l'évidence que son ventre arrondi lui proposait. Elle refusait de porter la progéniture de cet homme qu'elle détestait silencieusement. Rien, ni même les concoctions médicinales du guérisseur de villages ne parvinrent à faire disparaitre l'enfant. Norveig se résolut à porter la grossesse à terme et mit au monde son premier fils avant le début de la saison froide.

10.  Elle apprit, en devenant mère, que plus rien n’aurait plus de valeur que ses propres petits. La naissance de Lakland lui apporta une raison de vivre. Il avait besoin d'elle, elle ne l'abandonnerait pas. Les premières années furent marquées par la fatigue, l’inquiétude et les joies éphémères. Elle prenait fierté en ses enfants, les aimants et les protégeant férocement.

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