Deux guerrières de la Systr rauðr tuées. Les entrailles fumantes de la première se répandant dans la fange d’un village lointain, la tête de la seconde trônant au sommet des viscères comme un trophée macabre, les yeux exorbités d’effroi.
Si une völva avait prédit à Borr qu’il serait l’auteur de ces morts effroyables
et que ce tragique événement déboucherait sur une amitié sincère avec une valkyrie en devenir, le guerrier-ours aurait peut-être remis en cause les visions de la devineresse pour la première fois de son existence.
Pourtant l’impensable s’était produit, et le pisteur avait ressenti une immense fierté lorsque son amie Dalia Nielsen vint récemment le trouver afin de l’escorter jusqu’à l’Altari.
La jeune veuve n’avait pas donné ses raisons.
Borr n’avait point demandé.
Nombreuses étaient les mères et les sœurs à vouloir se recueillir devant l’autel érigé en des temps ancestraux, à l’époque où quelques huttes luttaient contre les éléments à l’emplacement actuel de la ville bénie des dieux, Ofeigatt. Une épaisse couche de neige recouvrait encore le mont Bertha en cette fin de vetr. Le soleil encore pâle dardait de faibles rayons, mais ceux-ci chasseraient bientôt la rudesse hivernale. Les principaux sentiers de montagne redevenaient accessibles aux jambes vigoureuses, bien que le long trajet en zone sauvage restait périlleux. C’est pourquoi Borr refusait catégoriquement d’escorter les grand-mères, les femmes malades ou de faible constitution.
Borr connaissait leurs motivations : si Bertha était avant tout la déesse de la neige et de l’hiver, elle s’occupait aussi des âmes des enfants. Et la mortalité infantile frappait toutes les familles sans distinction, des plus indigentes aux plus fortunées.
Aux yeux du guerrier, la perte d’un enfant – ou même de plusieurs enfants – ne justifiait pas qu’il accompagnât des personnes fragiles vers une mort certaine.
« Si tu veux mourir, femme, alors jette-toi directement dans les eaux glaciales de l’Estyr. Cela évitera que les loups ne prennent goût à la chair humaine en dévorant ton cadavre et s’attaquent ensuite aux vivants. Car il ne faudra guère compter sur moi pour soustraire tes os à leurs gueules affamées », leur disait-il avec la plus grande dureté.
La menace suffisait généralement à dissuader les voyageuses inaptes. Les plus déterminées s’adressaient à d’autres guides, parfois moins scrupuleux que Borr.
« Certains pisteurs ne rechignent pas à exploiter le malheur des familles affligées. Hel saura donner à ces chiens le sort qu’ils méritent », avait-il expliqué à Dalia.
❋ ❋ ❋
Borr jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. La femme qui marchait derrière lui ne souffrait visiblement d’aucun problème de constitution. Un pas résolu, une silhouette élancée, des muscles endurcis par des années d’entraînement et de batailles : Dalia se trouvait dans la pleine force de l’âge. La skjaldmö soufflait, dégageant un flux régulier de vapeur dans le froid persistant. Mais rares étaient les citadines à pouvoir suivre l’allure véloce d’un pisteur expérimenté comme Borr – beaucoup d’hommes aguerris n’en étaient pas capables.
Son visage emmitouflé dans une épaisse capuche en fourrure affichait des caractéristiques inhabituelles. Borr songea qu’elle aussi comptait peut-être des ancêtres parmi les anciennes tribus barbares de l’ère oubliée. Ses cheveux foncés contrastaient avec les tresses rousses et dorées des autres skjaldmös. Sa peau légèrement mate prenait la douce couleur du miel durant l’été. Le guerrier savait que beaucoup de ses frères d’armes la trouvaient attirante. La rareté suscitait toujours l’intérêt chez les hommes éperdus d’aventure et Dalia cumulait les singularités.
Après deux heures de marche rapide sans pause ni paroles échangées, Borr aperçut au tournant de leur chemin forestier une charrette immobilisée. Il distingua bientôt les rondins de bois solidement amarrées sur le plateau, puis deux hommes accroupis devant une roue profondément embourbée.
Le guide se tourna vers Dalia, glissant son regard au niveau de la taille – là où les guerrières portent leur épée.
— Je connais ces hommes. Ils sont de Skogen.La plupart des combattants ont le réflexe de tirer leur arme en présence d’inconnus. Une réaction instinctive, opportune à l’extérieur d’Ofeigatt où les mauvaises rencontres n’étaient pas rares.
Borr fit un pas de côté, invitant muettement la skjaldmö à prendre place à sa gauche. Ils avancèrent ensuite vers la charrette tels deux êtres égaux, bien que la haute stature de Borr et son aspect sauvage attiraient davantage les regards.
— Salut à toi, Gunnarr ! On dirait que les dieux t’ont mis un joli pétrin.Le vieux forestier sursauta, se retourna maladroitement, puis sembla soulagé. Il écarta ses bras courtauds et leva un menton proéminent vers le ciel. Petit et trapu, il ressemblait aux nains qui vivaient sous les montagnes.
— Odin soit loué ! Heureusement, le Père de toutes choses m’a aussi envoyé le moyen d’en sortir. Mon fils est trop maigrelet pour m’aider à redresser ce chariot bien chargé, nous avons grand besoin de ta force, Borr.Le fils était l’exact opposé de son père : grand, le visage creusé, des bras anormalement longs qu’on devinait fragiles comme des brindilles de bois sec.
Il jeta un œil curieux sur Dalia ; l’autre œil fixait un point inconnu dans la direction opposée. Gunnarr, quant à lui, ignorait totalement la jeune femme.
Borr tourna la tête vers celle-ci.
— Gunnarr n’est pas un mauvais bougre, mais il n’entend rien à la guerre et pour lui la place d’une femme est au skáli, lui chuchota-t-il à l’oreille.
Le pisteur se tourna à nouveau vers les forestiers, avança de deux pas et leur fit signe de s’écarter.
— De notre force, l’ami. Cette femme s’appelle Dalia Nielsen, elle fait partie de la Systr rauðr et possède la force d’une valkyrie. N’est-ce pas, skjaldmö ?Borr regarda par-dessus son épaule, un sourire mi-amusé mi-provocateur sur les lèvres.
Il se positionna dos au chariot, jambes fléchies, bottes enfoncées dans la boue, mains sous le plateau, prêt à l’effort.
— Certaines batailles se livrent les pieds dans la boue et l’épée au fourreau, lança-t-il à Dalia.
Mais chacune de ces victoires contribuera à la renommée de ton ordre émérite. C’est ainsi que vous gagnerez le cœur des ignorants et des réfractaires.HRP : on lance chacun un jet de force, deux réussites ou une réussite critique permettront de désembourber le chariot facilement, sinon il faudra s’y prendre autrement ^^
Borr : réussite du jet de force