Ástveig brossait ses cheveux, dans sa chambre, pensive. Encore, encore, et encore. Machinalement. Elle n’aurait peut-être jamais dû sortir. Elle aurait mieux fait de ne jamais sortir. Sortir, pour cueillir des fleurs, au beau milieu de la nuit. Mais quelle idée. Des idées saugrenues et inconscientes que seule Ástveig était capable d’avoir. Comment une jeune femme aussi éduquée, consciencieuse, ainsi que tout un tas d’autres qualités, était malgré tout incapable de prendre en compte le facteur risque qui était lié à chacune de ses actions ? A croire que… A croire qu’il y avait certaines choses qui lui faisaient totalement perdre la tête. Et les fleurs, les fameuses fleurs en faisaient partie.
Sortir au beau milieu de la nuit. Puis se perdre. Puis passer la dite-nuit avec un homme, qu’elle ne connaissait ni d’Adam ni d’Eve, parce que les éléments avaient décidé de se déchaîner et qu’il était tout bonnement impossible de continuer la route sans risquer d’être assommée par une branche d’arbre. Mais, elle avait ses fleurs. Son but était atteint. Elle avait ses fleurs, et allait pouvoir en retirer la plus belle des senteurs. Avant même de se changer, avant même de se coiffer, avant même de s’asseoir, la jeune femme avait commencé par les mettre à l’abri. Dans cette vie, dans cette nouvelle vie qui était la sienne, elle avait peu de trésors, qui lui appartenaient, dont elle avait la propriété. Et ces fleurs étaient à elle. Peut-être y attachait-elle autant d’importance parce qu’elles lui rappelaient son enfance, son adolescence, sur son île paradisiaque, assise aux côtés de son père et suivant attentivement ses moindres mouvements, alors qu’il distillait du parfum. Qu’il lui offrait par la suite, ainsi qu’à sa mère. Ici, il n’y avait plus son père pour lui offrir du parfum. Alors elle le distillait elle-même. Et se l’offrait elle-même. Il n’y avait ni son père, ni sa mère, ni ses frères. Il y avait seulement les Lund.

Dans son malheur, elle avait malgré tout de la chance. Oh oui. De la chance, parce que Vala n’était pas là. Il n’y avait que Markvart. Ni Vala, ni les enfants. Fort heureusement. Madame l’effrayait bien plus que Monsieur… Car Madame était intransigeante. Car Madame ne laisserait pas passer le fait qu’elle ait passé la nuit dehors, bien que ses intentions n’aient pas été mauvaises, bien que le tout soit un concours de circonstances. Vala était moins ouverte aux négociations, aux explications. Mais Markvart… Si. Du moins, c’est l’impression qu’il lui avait donné. A son arrivée, Ástveig avait tenté tant bien que mal de se justifier… Et il ne l’avait pas punie. Il ne l’avait pas disputée non plus. Et surtout, il lui avait promis de ne rien dire. De ne rien répéter, à Vala.

Pour autant, elle n’était pas sortie d’affaire. Car elle avait reçu quelques consignes. Aller se changer, se remettre de ses émotions, puis le rejoindre dans son bureau et lui ramener à boire. Et Ástveig se doutait que ce ne serait probablement pas pour parler de la pluie et du beau temps. Ou pas que. Elle allait devoir donner des explications. Plus d’explications. Mais elle préférait les donner à Markvart qu’à Vala. Elle préférait largement en parler à Monsieur, qu’à Madame. Après un énième coup de brosse dans ses cheveux, elle inspira longuement puis se leva. Elle troqua sa robe épaisse et couverte de feuilles par une robe plus légère et fluide, agréable à porter en intérieur, jeta un dernier regard dans le miroir… Là voilà parée.

Elle tenait fermement la carafe d’hydromel dans ses mains, alors qu’elle allait vers son bureau. C’était… Assez étrange, et si rare, que la maison soit aussi vide. Etrange, mais pas désagréable. « … Monsieur ? » Elle frappa à la porte, avant d’entrer. « Vous m’avez demandé de venir vous voir… » Alors là voilà. Un mince sourire sur les lèvres, un peu inquiète, la boule au ventre, mais elle était là. Et elle essayait de faire bonne figure. Après un léger moment d’hésitation, elle finit par s’approcher, posant le verre qu’elle commença à remplir. « Vous ne direz rien à Madame concernant... Ce qui s'est passé hier soir, n'est-ce pas... ? » Elle insistait. Elle voulait en avoir le coeur net. S'assurer, que ce serait leur petit secret.

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