L'

astre solaire effleure la peau tannée du fils prodigue de retour sur ses terres. Harald se gorge de cette sensation de retour, comme si la cité s’était figée dans le temps et l’espace durant ces trois années d’absence, comme si elle l’avait toujours attendue. Les masures, les ruelles, les gens. Tous sont pour lui des entités immuables, inchangées, jusque dans les slogans crachés par les poissonniers du port d’Isenseg. D’un bon pas, il traverse la place où quelque uns se figent dans un murmure d’étonnement, comme un souffle qui s’empare bientôt d’une partie de la population : « Trieggvyrson est vivant ! » « Impossible ! » « En chair et en os » « Par Odin, c’est un draugr ! ». Un sourire amusé étire les lippes du soldat qui continue sa progression, empruntant les ruelles qui le conduisent droit vers Skogen, son foyer.

De ce jour, Harald en rêve chaque soir, lorsqu’il peut se retrouver seul avec ses pensées. Après la douleur de la trahison, il retrouve sa femme et la douceur d’un logis, sans que rien ne change. Tendre utopie. Après un événement d’une telle ampleur, tout allait fatalement être bousculé. Peut-être s’est-elle remariée ? Dans ce cas-là, que faire ? Perdu dans cette pensée, le guerrier caresse le pommeau de son épée afin de secouer la tête. Non, il ne pourrait pas lui infliger un nouveau veuvage. Si elle était heureuse à nouveau, il essaierait de s’en contenter. Ce serait dur, peut-être, mais il ne pouvait plus rien désormais. Et son frère ne paierait que plus lourdement le prix de ses méfaits.

Sans qu’il ne s’en rende compte, ses pas l’ont déjà mené devant la lourde porte de bois de sa demeure. Un peu ému, ses phalanges glissent sur les motifs sculptés autour du battant : une tête d’ours qu’il a exécuté juste après leur arrivée ici. Pendant un instant il hésite, puis frappe finalement en attente d’un bruit quelconque. Mais seul le silence lui répond. Ses sourcils se froncent, avant qu’il ne dresse la tête pour observer le soleil déjà haut dans le ciel. Presque à son zénith. Il n’est pas difficile pour lui de se remémorer les habitudes de son épouse. Alors, il se détourne pour sortir de la ville et s’enfoncer dans la forêt de Jörd.

Le bruissement des feuilles sous ses bottes est infime tandis que le jeune homme pénètre dans le sous-bois. Ses oreilles se tendent, tandis que ses doigts scrutent les arbres à la recherche de son point de repère. Une vieille habitude, lorsqu’il accompagnait Helga jusque dans la vaste clairière à proximité. C’est assez soudainement qu’il se fige, comme tétanisé. Elle est là, à quelques mètres à peine, comme dans ses souvenir. D’une main nerveuse, il cherche à tâtons les traits de son propre visage : est-ce-que lui a changé ? Sans doute. Ces années en mer le font peut-être paraître plus vieux. Et si elle refusait de le voir ? De lui parler ? Si elle ne l’aimait plus ? L’angoisse comme à se saisir de lui.

Il ne se souvient plus de ce qu’il voulait lui dire. Face à elle, Harald perd soudain toute la superbe de sa traversée quasi héroïque d’Ofeigatt. Ils sont seuls, perdus au fin fond des bois, sans personne pour venir troubler l’intimité de leurs retrouvailles. Helga lui tourne encore le dos, ses long cheveux blonds glissent dans sa nuque lorsqu’elle se redresse pour arranger les plantes dans son panier. Le guerrier sent qu’il est capable de l’observer pendant des heures sans dire un mot, pour se remémorer de chaque geste ou du son de sa robe glissant sur l’herbe. Mais Harald ne veut plus être spectateur de sa propre vie, il veut en être l’acteur. Aussi réprime-t-il le tremblement de ses paumes avant de lâcher les mots fatidiques, ces mots qui signeront définitivement son retour parmi les vivants.

« Bonjour Helga… »

L

e soleil poursuivait sa course dans le ciel au fur et à mesure que les heures passaient. Il était temps, pour toi, de te rendre dans la forêt. C’était une habitude que tu avais prise depuis que tu étais herboriste. Tu allais toujours cueillir les herbes lorsque l’astre du jour était à son zénith. Ce fut ton panier à la main que tu quittas Skogen.

Sur le chemin, des souvenirs affluèrent dans ton esprit. Il fut un temps où ton époux t’accompagnait dans cette forêt, souhaitant uniquement être à tes côtés. Il s’assoyait non loin de toi et sculptait un bout de bois alors que tu cueillais des plantes. Un sourire triste effleura tes lèvres à cette pensée. Voilà trois longues années qu’il n’était plus de ce monde. Il t’avait quitté, te laissant seule avec votre fils qu’il n’avait pas eu la chance de connaître. Tu soupiras. Il était inutile de ressasser le passé et de parler avec des si. Harald ne reviendrait pas. Il était auprès des Dieux, là où était sa place en tant que valeureux guerrier.

Tes pas te menèrent à cette clairière que tu connaissais maintenant si bien. Tes pupilles scrutèrent ce paysage si familier. C’était si agréable d’être ici. Après tout, il s’agissait de l’un de ces rares moments où tu pouvais être seule, sans ton fils, ni ton frère ni personne. Juste tes pensées et toi-même. T’accroupissant au sol, tu commençais alors ta cueillette. Les plantes n’avaient plus de secrets pour toi. Tu les connaissais presque toutes sur le bout des doigts. Tu étais méticuleuse et attentive, faisant attention pour ne pas abimer les feuilles ou les racines.

Ton panier commençait à se remplir au fur et à mesure que tu explorais la clairière. Tes pensées vagabondèrent ici et là dans tes souvenirs. Tu étais dans ta bulle, ayant l’impression d’être seule au monde. Cependant, sans même que tu ne t’en rendes compte, ce n’était plus exactement le cas. Quelqu’un t’observait à quelques mètres de toi. Il était silencieux – du moins, jusqu’à ce que ces deux mots franchissent ses lèvres. Tout ton corps entier se raidit à l’entente de cette voix si familière. Alors, lentement, tu te levas et te retournas pour faire face à l’origine de ce son. Tu eus l’impression de rêver.

Face à toi se tenait un homme, mais pas n’importe lequel. Tu aurais pu reconnaître les traits de son visage parmi tant d’autres. Il était comme dans ton souvenir. Comment était-ce possible? Les Dieux devaient certainement se moquer de toi en ce moment. Tu hallucinais. Ton époux était mort il y a trois ans. Et pourtant… celui qui se tenait là devant toi était bel et bien Harald. C’est ce que te disait ton corps.

« Harald…? » Ta voix tremblait alors que l’incompréhension se lisait sur ton visage. Tu semblais avoir fait un effort surhumain pour prononcer ce nom qui était si cher à ton cœur – ce même cœur qui tambourinait dans ta poitrine. Tes pieds franchirent alors les quelques mètres qui vous séparaient. Maintenant tout près, tu posais avec une certaine hésitation tes mains sur ses joues. Tu avais besoin de le toucher, besoin de t’assurer qu’il était bien réel. « Est-ce… Est-ce vraiment toi, mon amour? » Ton regard se plongea dans le sien, à la recherche d’une réponse, d’une confirmation. Tu devais savoir. Pourtant, ton cœur le savait. Ce corps chaud qui se tenait en vie devant toi, le son de cette voix qui n’avait guère changer et ces yeux que tu aimais tant chez lui… Rien n’avait changé. Et alors que des larmes envahissaient tes yeux, tu réussis à murmurer faiblement. « Je ne rêve pas, n’est-ce pas? »

L

e silence qui flotte entre eux le paralyse, fige son corps dans cette posture statique : les pieds enfoncés dans le lit de feuillages, les doigts coincés sur le cuir de sa ceinture. Les iris seules s’agitent dans les orbites, scrutent le visage inchangé de l’épouse aimée et abandonnée. Elle est pâle : le choc sans aucun doute. Et s’il craint de la voir défaillir, Harald est bien incapable de la toucher ou de rompre les quelques pas qui les séparent. Tout ceci lui semble désormais bien trop irréel, presque trop facile. Peut-être n’est-il pas réellement là ? Peut-être rêve-t-il ? Il l’ignore, mais souhaite se délecter de cet instant avant qu’il ne s’évapore définitivement.

C’est elle qui finalement le détrompe, s’avance vers lui avant de glisser ses doigts sur ses joues râpeuses. Les yeux du viking se ferment, tandis que ses phalanges viennent chercher le contact de la peau. Il entoure ses poignets de ses mains, pose son front contre le sien. Les battements frénétiques de son cœur fracassent sa cage thoracique, alors qu’il cherche son souffle pour lui répondre. C’est d’abord un murmure, la voix brisée par cette pointe d’émotion qu’il ne peut contenir cette fois : « Non, tu ne rêves pas. C’est moi Helga. C’est moi. », répète-t-il comme pour s’en convaincre. Après trois ans, ils se retrouvent enfin.

Leurs souffles se mêlent l’un à l’autre, leurs yeux se cherchent avec urgence comme s’ils craignent de se perdre encore, de voir l’autre disparaitre. Mais ils sont là, ils se touchent, et Harald effleure bientôt doucement l’angle volontaire de la mâchoire pour mieux l’admirer. Un maigre sourire se glisse sur le visage du soldat alors : « Tu n’as pas changé. Exactement la même que lorsque nous nous sommes dit adieu, il y a trois ans. ». Le port d’Isenseg avait été le théâtre de leur dernière rencontre. Harald, persuadé de son retour s’était montré rassurant, posant un dernier baiser sur ses lèvres avant de prendre le large au côté de ses hommes et de son frère aîné. Et pourtant, il n’était jamais reparu. Abandonné comme un chien, sur une plage miteuse, en train de se vider de son sang. Les traits du guerrier se durcissent une seconde à peine avant qu’il ne retrouve un air plus serein. Ses yeux plongés dans les siens, il lâche d'une voix brisée par l'émotion : « Je suis désolé. »

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e contact de sa peau contre la tienne te fit frisonner. Tu avais plusieurs fois rêvé qu'il rentrait victorieux de ce raid, qu'il te prenait dans ses bras et partageait sa chaleur avec toi. Cependant, chaque fois que tu te réveillais, tu avais pour seule compagnie tes draps froids. Pourtant, en cet instant, tu savais que tu ne rêvais pas. Ton coeur, ton corps et toute ton âme reconnaissaient Harald. Les Dieux avaient été cléments et l'avaient épargné. Il n'avait probablement pas encore accompli toutes les tâches qui lui étaient destinées. Tes paupières se fermèrent pour profiter pleinement de ce moment alors que quelques larmes rebelles ruisselèrent sur tes joues. Elles étaient le symbole de ton soulagement et de ta joie.

Doucement, tu rouvris les yeux lorsque sa main effleura avec délicatesse ton visage. Tu n'avais apparemment pas changé, mais si seulement il savait... Ton coeur avait tellement souffert de son absent, de cette nouvelle qui y avait laissé un vide. « Je pourrais en dire autant à ton sujet. » Tu le contemplas, un mince sourire sur les lèvres. Sa peau était légèrement plus tannée et ses cheveux étaient peut-être un peu plus longs, mais le reste n'avait guère changé. C'était ainsi qu'il apparaissait dans tes souvenirs et dans tes rêves.

C'est alors que ton époux s'excusa d'un voix brisée par l'émotion. Tes yeux ne se refermèrent que quelques secondes sous la douleur de ces mots et tes mains brisèrent le contact que vous aviez. Il avait raison d'être désolé. Et franche comme tu étais, tu ne pus t'empêcher de le lui dire. « Tu es désolé pour ne pas être revenu plus tôt? Ou pour ne pas m'avoir donné de nouvelles durant ces trois longues années? » Ta voix n'était pas agressive, au contraire. Tu semblais triste et déçue, comme si tu avais l'impression d'avoir souffert durant trois ans pour rien. Tu avais longtemps cru qu'il était mort alors qu'il était vivant. S'il t'avait au moins envoyé un signe, un moyen de savoir qu'il était vivant, ton esprit aurait pu ainsi cesser de se tourmenter.

Lorsque tu repensais à ce moment où on frappa à ta porte pour t'annoncer cette terrible nouvelle, ton coeur se serra et des larmes commencèrent à perler sur tes joues. Tu restais là, tout près de lui, mais ne le touchais plus. Tes paroles affluèrent à tes lèvres comme si rien ne semblaient les arrêter. Tu avais besoin de savoir. « Pourquoi maintenant Harald? Pourquoi? Sais-tu à quel point j'étais désemparée lorsque j'ai cru que tu étais mort? À un tel point que je voulais mourir pour te rejoindre! » Cette souffrance que tu avais gardé pour toi depuis si longtemps déferlèrent en toi comme une vague. Il y avait beaucoup trop d'émotions qui te gagnaient. Tu étais à la fois heureuse et soulagée, mais en même temps en colère. L'incompréhension se lisait également dans ton regard. Il devait te parler, t'expliquer. Il ne pouvait tout simplement pas réapparaître ainsi sans rien dire. Ce serait trop injuste s'il ne le faisait pas. « Durant ces trois années d'absence, un vide s'est formé dans mon coeur. Un vide que pas même notre fils a pu comblé, car oui, nous avons un fils Harald... » Ce fut ta voix, cette fois-ci qui se brisa sous l'émotion. Comme tu aurais souhaité lui annoncer cette nouvelle à son retour! Comme tu aurais aimé qu'il soit là pour la naissance de leur premier enfant. « Frigg a entendu nos prières et m'a permise de porter ton enfant. Je ne l'ai appris que quelques jours après ton départ. J'aurais tellement voulu que tu puisses... » Qu'il puisse te serrer dans ses bras en criant de joie en apprenant la nouvelle. Qu'il puisse serrer ta main alors que tu mettais au monde leur fils. Qu'il puisse le voir marcher pour la première fois. Ces derniers mots furent prononcés dans un murmure alors que ton front se posait sur le torse de l'être aimé. Tes petits poings le frappèrent sans réelle conviction. Ton corps tout entier tremblait sous les pleures qui t’assaillirent. Tu semblais inconsolable.  Même si tu étais heureuse, ton coeur était incapable de l'être entièrement.  

I

l sent qu’avec ces mots tout bascule. L’étreinte insatiable se brise lorsqu’elle s’écarte de lui, pour venir alors cracher sa peine et son désarroi. Le reproche est présent, et Harald ne peut que la comprendre. À ses yeux, il était mort sur cette plage, et elle avait vécu avec cette certitude pendant près de trois années avant qu’il ne reparaisse. Il ne pouvait s’attendre à ce qu’elle ne lui pose aucune question quant aux circonstances de son absence, ni quant aux raisons de son silence. Mais même si ses interrogations sont légitimes, il ne peut lui donner les réponses qu’elle attend. « Helga, s’il-te-plaît… » Le guerrier veut l’interrompre, lui dire de cesser de se tourmenter : il est de retour, c’est tout ce qui compte. Toutefois la belle herboriste ne peut se contenir. Les mots s’échappent de ses lèvres comme un torrent depuis trop longtemps réprimé, et Harald ne se sent pas le courage de l’arrêter. Il encaisse les récriminations sans chercher son contact, le visage fermé, les lèvres closes malgré son cœur qui se blesse à chacun des aveux désespérés d’Helga.

Puis alors, soudainement, la vérité éclate. Le visage de marbre se rompt lorsque la femme qu’il aime commet l’aveu : ils ont un enfant. « Un fils… », souffle-t-il sans réellement y croire alors qu’elle vint poser son front contre son torse. Il ne sent qu’à peine le martellement de ses poings contre lui, la déclaration le sonne comme elle l’accable. Harald l’imagine seule dans cette épreuve qu’ils avaient souhaités tous deux, et son regard se tourne vers le siège des dieux. Pourquoi les avoir privés de ce bonheur commun ? Pourquoi raviver l’éclat funeste de la vengeance qui déjà ronge son cœur ? Il serre les dents alors que ses bras se referment autour du corps frêle qu’il connait par cœur. La pointe s’agite dans sa poitrine, alors qu’il se penche à son oreille : « Nous avons un fils. Par Frigg, je ne peux croire à ce bonheur que tu m’annonces. Pas après tout ça. Comment l’as-tu appelé ? Comment est-il ? » Le guerrier voudrait pouvoir rattraper le nombre des années en quelques minutes. Connaître le sang de son sang, la chair de sa chair par cœur avant même de pouvoir le serrer dans ses bras. Mais la chose est impossible, il ne le sait que trop. Pas tant qu’elle ne lui aurait pas pardonné les motifs de son absence.

Posant une main à l’arrière de sa nuque, il effleure les mèches blonde d’Helga. « Je ne pouvais pas rentrer plus tôt, s’était impossible. On ne franchit pas le séjour d’Hel sans en payer le prix. Et ma dette devait être payée avant que je ne puisse te rejoindre. » La trahison du frère, il ne peut lui avouer. L’omission de ce meurtre raté pèse sur ses épaules, mais il essaie d’attirer son regard ailleurs. « J’aurai aimé être là, tu le sais. »

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u ne lui laissas guère le temps de parler. Tu avais besoin de t’exprimer, de faire sortir toutes ces émotions qui sommeillaient en toi depuis ces trois longues années. Il fallait que tu te libères, qu’un poids de moins ne pèse sur tes épaules. Même si tes paroles peuvent sembler froides, voire directes, cela te fit le plus grand bien. Tu savais qu’il se sentirait mal, mais tu te sentais tout aussi mal que lui.

Et puis, la vérité s’échappa de tes lèvres. Harald ignorait que vous aviez un fils - comment aurait-il pu être au courant, ayant disparu juste avant que tu ne découvres la nouvelle? - mais maintenant, il le savait. Tu entendis à peine ces deux mots qu’il murmura alors que ta tête se posait contre son torse. Ses bras forts t’enlacèrent dans une étreinte réconfortante et mélancolique. Puis, comme tu t’en doutais, il ne put s’empêcher de te questionner au sujet de votre enfant. Si tu avais été à sa place, toi aussi tu aurais aimé savoir comment il se nommait, à quoi il ressemblait. Cependant, tu ne parvenais pas à prononcer un seul mot. Tes mains se glissèrent finalement dans son dos pour resserrer votre étreinte, signe que tu t’étais enfin calmée - du moins, pour le moment. Ton esprit était toujours envahit par des centaines de questions, mais tu te retenais à l'entente des paroles de ton époux.

Il ne pouvait pas rentrer plutôt, disait-il. Et il avait raison. Les Dieux ne permettaient pas aisément aux morts de revenir sans en payer le prix. Il avait dû payer sa dette avant de revenir. Un léger soupire s'échappa de tes lèvres. Tu ne pouvais pas lui en vouloir. S'il aurait pu être là plus tôt, il l'aurait fait. Et, comme il le disait si bien, tu savais qu'il aurait aimé être à tes côtés plutôt qu'ailleurs. Tu redressas alors la tête pour plonger tes noisettes dans ceux émeraudes de ton compagnon. « Oui, je le sais, mais j'aimerais savoir ce qui s'est passé, ce qui t'a retenu aussi longtemps. » Cependant, tu te doutais bien qu'il t'en aurait déjà parlé s'il le pouvait - ou plutôt, s'il le désirait. Peut-être que quelque chose l'en empêchait? Dans tous les cas, tu connaissais que trop bien Harald. « Mais je ne te forcerai pas à tout me raconter aujourd'hui. J'espère seulement qu'un jour, tu pourras le faire » Ton regard rougit par les larmes s'était attendri et, de nouveau, une main vint se poser sur la joue râpeuse du guerrier. Du pouce, tu caressas tendrement sa joue alors que lèvres s'étirèrent dans un mince sourire.

« Viens, allons nous s'asseoir. » Sans attendre réellement de réponse de sa part, tu l'entraînas au pied de ce vieux chêne dont vous aviez l'habitude de vous asseoir. Tu te souvenais de ces moments passés à discuter longuement sous cet arbre, à s'enlacer jusqu'à ce que le soleil descende vers l'horizon. Une fois que tu fus assise, Harald vint s'allonger dans l'herbe, posant sa tête contre tes cuisses comme il en avait l'habitude. Il n'avait décidément pas changé. « Est-ce que tu te souviens de ce jour où tu m'avais dit que si nous avions un fils, tu aimerais l'appeler Asgeir...? Eh bien moi, je m'en souviens. Et c'est ainsi que j'ai nommé notre petit garçon. »

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ans les yeux noisettes plongés dans les siens, Harald peut lire toute la souffrance et la peine qu’il lui a infligé. Il aurait voulu pouvoir tout effacer d’un geste, d’une parole, mais il sait la chose impossible. Seuls les dieux - et le temps - ont en leur possession une telle faculté. Alors, les yeux émeraudes du viking se détourne devant l’insupportable spectacle des pleurs, qui jouent cruellement avec sa culpabilité. Il s’efforce, en vain, de ne pas retomber dans ce regard réclamant plus de réponses. Des réponses qu’il est encore incapable de lui donner. Pourtant, tout en lui veut lui crier la vérité : celle de sa mort puis de son sauvetage miraculeux. Toutefois, l’heure n’est pas venue. Les choses funestes doivent être conservées pour des jours sombres, et Harald ne se sent pas le coeur à gâcher le bonheur de ces retrouvailles. Fort heureusement, Helga semble lire dans son coeur et se résigne à ne pas lui demander plus d’explication. Du moins pas aujourd’hui. S’il n’était pas un homme fier, le soldat serait sans doute tombé à genou pour la remercier de lui ôter cette terrible épine du pied. Et même si ces paroles ne semblent que repousser de plus loin l’inévitable, c’est pour Harald un véritable soulagement.

D’un geste elle balaie le nuage qui pèse sur ses pensées. Le frisson que sa caresse lui tire ne rappelle que trop au guerrier que sa femme lui a manqué. Un sourire, alors plus franc, répond à celui de son épouse qui le conduit près du grand chêne dominant la clairière. Aucun mot ne se glisse entre ses lèvres, ses iris se délectant simplement de la démarche d’Helga sur le tapis verdoyant de la forêt. Lorsqu’elle s’assied, Harald s’allonge près d’elle, déposant sa nuque contre sa cuisse. Comme autrefois. Il ne peut s’empêcher de la scruter, d’essayer de percevoir un changement dans sa physionomie, dans sa manière d’être. Mais rien. Elle est aussi belle - voire plus belle - que dans ses souvenirs. Ses lèvres s’étirent à nouveau dans un plus grand sourire lorsqu’elle évoque leur enfant. « Asgeir, la lance des Ases. Voilà un garçon qui fera honneur aux dieux. Avec un tel prénom, il n’aura guère le choix. » Ses doigts cherchent bientôt sa main qu’il porte à ses lèvres. Harald ferme les yeux en y déposant un long baiser. Puis la relâche pour se redresser légèrement, le bout de ses phalanges effleurant la peau de sa joue avant de venir l’embrasser avec urgence.

Peinant à réfréner ses ardeurs, le disparu s’écarte pourtant sans pour autant quitter sa chaleur. Leur proximité est tenace, mais si le contact était doux quelques secondes auparavant, la main posée sur la joue est maintenant glaciale. Le regard qu’il darde sur elle semble la traverser, lorsqu’il se décide enfin à énoncer ses craintes. « Est-ce qu’il y a un autre homme Helga ? Est-ce que pendant ces trois années tu t’es donné à un autre ? » Si la chose s’avérait vrai, il ne pourrait lui en vouloir. Comment lui reprocher d’avoir refait sa vie après avoir cru à sa mort ? Mais il ne pouvait rester plus longtemps dans l’ignorance. « Je dois savoir. Est-ce que tu es mariée ? »

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voquer ce fils qu'il n'avait pas eu encore la chance de connaître fit sourire Harald. Comme tu avais hâte qu'il le voit! Ce petit garçon qui avait hérité des yeux de son père et des boucles blondes de sa mère. Comme tu rêvais de ce moment depuis des années. Cela allait atteindre encore quelques instants. Tu avais besoin de sentir la présence de ton époux à tes côtés, de rattraper tout ce temps perdu. Tu souris à ton tour lorsqu'il porta ta main vers ses lèvres pour y déposer un long baiser. Ses baisers t'avaient manqué. Tout son être t'avait manqué en fait. Harald se redressa légèrement et vos lèvres s'unirent pour la première fois en trois ans.  Tes yeux se fermèrent à cet instant, savourant ce moment magique qui aurait pu durer une éternité s'il ne s'était pas détaché en premier.

Vos corps étaient toujours près l'un de l'autre, le contact contre ta joue ne s'était pas rompue, mais si ce dernier était doux et chaleureux quelques instants plutôt, cela n'est plus désormais le cas. Il est plus froid, trahissant l'inquiétude d'Harald. Son regard te transperce, te traverse, comme s'il cherchait la vérité. Comme s'il cherchait une réponse dans tes iris. Et alors, la question s'échappa de ses lèvres. Tu ne disais rien, préférant le laisser poser toutes les questions qui traversaient son esprit. Ton silence pouvait être effrayant, voire inquiétant, mais ton regard reflétait toute la tendresse et l'amour que tu ressentais pour ton époux malgré ces longues années d'absence. Jamais tu ne l'avais oublié et tu avais encore moins accueilli un autre homme dans ta couche. Jamais tu ne t'es donnée à un autre. Si seulement il savait la promesse que tu t'étais faite le jour où vous vous êtes mariés, peut-être qu'il ne se soucierait pas de cela autant. « Oui, je suis mariée... » Tu fis une pause qui sembla durer une éternité avant de poser ton front contre celui du père de ton enfant. « Je suis mariée au seul et unique homme qui sera à jamais dans mon coeur, et c'est toi Harald. » Ta tête se redressa légèrement afin de poser tes lèvres sur son front dans un doux baiser pour le rassurer. « Tu es et seras à jamais le seul homme dans ma vie. » Tu plongeas à nouveau ton regard dans le sien, glissant une main dans ses cheveux pour replacer une mèche rebelle sur le côté de son visage.

« Mais... et toi? » Tu n'avais pas besoin de poursuivre ta phrase, il connaissait déjà la question. S'il s'inquiétait à ce sujet, tu avais bien le droit de la lui poser en retour. Et si, durant tout ce temps, il avait rencontré une autre femme? Il ne serait certainement pas rentré si c'était le cas, mais peut-être qu'il avait eu quelques aventures...? Tu ne voulais pas y penser, tu ne voulais pas l'imaginer. Sauf que toi aussi, tu avais le droit de savoir. Si c'était le cas, bien sûr que tu souffrirais. Bien sûr que ton coeur te ferait mal, mais cela faisait déjà parti du passé et rien ne pourrait le changer.