Les paupières se relèvent, les pupilles vagabondent timidement sur ces tâches difformes qui s’agglutinent. Des voix, des murmures résonnent contre les murs, agressent ces petites oreilles, résonnent dans cette caboche encore vierge de toutes pensées. Les premiers instants d’un petit être, d’une petite fille qui ignore encore le destin rugueux qui se dessine sous ses pieds. Premier fruit de l’amour entre un forgeron et une tisserande, leurs bras aspirent affection et bonté. Les hivers se suivent et se ressemblent, rigoureux, extrêmes. Au cœur du dernier hiver, un espoir réchauffe la bicoque, un cri s’écrase contre les murs, affolent les animaux, mais rassure les géniteurs ; une deuxième fille voit le jour. Poupée de chair fragile, périssable. Euphorie, allégresse. Petit rayon de soleil qui réchauffe les cœurs meurtris par le froid. Grande sœur affectueuse, protectrice, les moindres pas de la benjamine sont surveillés, conseillés. Les rires éclatent inlassablement entre les murs de la ferme. Les années s’écoulent, la gaieté envahit les lieux, une vie paisible, harmonieuse se consume. Un rouage parfait détruit quelques années plus tard par les raids acharnés, mortels des envahisseurs. Le feu balaie la sérénité des lieux, le sang s’écoule le long des rues, des hurlements rebondissent contre les demeures obsolètes. Affolement, désarroi. Spectatrice de cet horrible spectacle, les iris sont désormais marquées par ce massacre, par la vision de ces corps sans vie, négligemment abandonnés. Famille déchirée. De lourdes chaînes entravent dorénavant les chevilles des survivants, liberté censurée, le rang d’esclave est attribué. Petite fille aux ordres d’un jarl acariâtre, accomplissant ses bases besognes. Les ordres pleuvent, alors que l’esprit rêve d’un avenir meilleur, prie les Dieux. Nouvelle vie inquiétante, bouleversante, adoucit par l’affection d’une servante bien plus expérimentée, ayant d’ores et déjà traversée un bon nombre d’année de servitude. Mère de substitution, modèle d’optimisme pur. La douleur s’estompe peu à peu, mais la rancœur persiste. Paria, le chemin des enfants légitimes, libres est évité à de nombreuses reprises, préférant la douce étreinte de la solitude. Espoir d'affection dans le regard ébène de ce marchand nomade, et son audace. Les fers paraissent moins lourd à porter en sa présence. Escapades sournoises dans les bois, étreintes charnelles. Amourette sincère, mais éphémère. Départ de l'amant vers d'autres contrées, retrouvailles avec l'âpre solitude.

L’obéissance devient une contrainte, l’agneau devient loup, se montre impétueux, coléreux, ronge ses chaînes, hurle sa hargne. Réprimande succincte, muselée. Les plateaux continuent d’être distribués, les tâches sagement accomplies. Intolérant, farouche, égoïste, le jarl n’attire plus la sympathie de ses villageois. Une vague de révoltes s’abat. Tentative d’achever le souverain maléfique rapidement entravée par le corps fragile mais déterminé de l’esclave rebelle. Blessure profonde, mortelle. Les jours passent avant d’apercevoir l’espoir de retrouver le chemin de la vie. Courage, insouciance, récompensée par un affranchissement émouvant. Leysingr voyageuse désormais, bourlinguant de villages en villages, avant de poser ses plantes dans le bourg d’Isenseg, happée par la rudesse des lieux, la curiosité. Hameau au charme sauvage, jarl bienveillante, féminine, qui attise la sympathie, l'admiration. Déclic. Là est l'avenir. Déterminée à commencer une nouvelle vie, à accomplir la volonté des Dieux, voyageuse devient guerrière, croyant en sa souveraine, à l'avenir de ce village perdu. Les haillons se transforment en armures, l'esprit revanchard utilisé à bon escient. Cependant, l'amertume flâne encore face aux bourreaux d’antan. C’est par la patience que l’on atteint les choses désirées.