L'ambiance vespérale a déjà envahi la cité lorsque tu quittes Forgeciel. Son souffle glacé te frappe de plein fouet après avoir passé la journée au milieu de la chaleur étouffante, t'incitant à resserrer la fourrure autour de tes épaules. Tu parcoures les allées éclairées par les lampes à huile jusqu'à ton habitation, aujourd'hui sans faire de détour car tu dois te rendre ensuite au bord du lac. En réalité, tu ne passes que prendre des épées que, une fois arrivé, tu glisses en bandoulière sous ton épais manteau. L'avantage avec ta profession, c'est que tu n'as pas besoin de payer la main-d'oeuvre quand tu as besoin de te forger un outil – tu possèdes ainsi toujours deux lames. Prévoyant, sans doute. En tous les cas, te retrouver sans arme valable à la saison des raids t'est impensable.

Tandis que tu sors d'Ofeigatt en direction de la forêt, les étoiles remplacent progressivement l'éclairage. Muni d'une torche, tu avances vers le lieu de rendez-vous et, à mesure que tu t'en approches, te demandes comme à l'accoutumée pourquoi tu t'y rends. Pourquoi tu as accepté sa requête alors que tu n'as rien d'un instructeur. Bien au contraire et, à chaque rencontre, l'angoisse augmente : vas-tu la blesser ? Les tourments passés resurgissent, ta marque exigée par le Thing te donne l'impression de brûler de nouveau. Elle commence, d'ailleurs, à se manifester alors que tu franchis les bois. Même si tu le voulais, tu ne pourrais oublier ni te désolidariser de l'enfant que tu as été. Le rappel fonctionne à merveille. Cependant, Solvej en personne en est un malgré elle ; cause paradoxale de ton entêtement à tenir ta promesse. Tu ne peux te résoudre à y penser, mais c'est indéniable : elle t'évoque ta soeur. Inconsciemment, une obsession malsaine te ronge à son égard. Une obsession face à laquelle même tes peurs ne font pas le poids.

Alors tu te retrouves sur les rives de Tjorn, à préparer un feu. Une habitude telle que ce dernier a une place réservée, le cercle de pierres encore en place depuis la dernière fois. Lorsqu'il a pris, tu augmentes la réserve de bois. Tu sens le froid mordre la cicatrice récente dans ton dos, et ta paranoïa te conseille de retourner chez la guérisseuse vérifier qu'aucune infection ne revient contrecarrer sa guérison. Tu finis par t'asseoir près des flammes et réchauffer tes mains en écoutant les sons sylvestres. L'atmosphère reste néanmoins trop calme pour toi. Aiguiser les lames t'aide finalement à t'occuper l'esprit en attendant la venue de la jeune femme, non sans rester alerte aux bruits environnants. Normalement, tu t'es orienté de façon à la voir arriver : effectivement, tu aperçois après quelques instants sa silhouette.

« J'ai cru que tu avais abandonné l'idée de venir ce soir. », déclares-tu de ta voix basse à son approche, tout en poursuivant ton travail.

Davantage une constatation qu'un reproche. Au fond, tu aurais sûrement préféré qu'elle ne vienne pas. Pourtant, sa présence te soulage. Tu aurais arpenté les alentours pour t'assurer que rien ne lui était arrivé dans le cas contraire.

Cheveux tressés pour ne pas être gênée pendant l'entraînement, Solvej slalome parmi les arbres de la forêt, torche en main. Le froid lui mord la main qui tient celle-ci. L'autre main tente tant bien que mal de rester au chaud, parmi vêtements et fourrures. Rien ne pourrait la décourager, quand il s'agit d'aller s'entraîner. L'épée de son père dissimulée sous ses vêtements, elle est en chemin pour ce lieu de rendez-vous que rien qu'elle et lui, Thorsteinn connaissent. C'est leur petit secret. Elle s'est montrée convaincante, la gamine, pour qu'il l'entraîne. Elle ne lâche rien, à ce propos, et sa ténacité a payé. Qui de mieux qu'un forgeron pour faire d'elle une bonne combattante ? Elle s'entraîne autant que possible, avec des personnes différentes, pour avoir de nouveaux conseils, de nouvelles techniques, mais elle apprécie particulièrement le temps passé avec lui. Elle lui voue une confiance aveugle, sans vraiment savoir pourquoi. En tout cas, elle tient à leurs rendez-vous, et n'en manquerait un pour rien au monde. Elle est prête, elle veut l'impressionner, lui montrer qu'elle retient ce qu'il lui apprend et qu'elle l'applique. Elle tente d'avoir le soutien d'autant de personnes que possible, pour prouver qu'elle est crédible, que ses rêves ne resteront pas à l'état de rêves. Ils se réaliseront, tôt ou tard. Elle arrive enfin, voit le feu qui brûle déjà. Crépitement de flammes et aiguisement des lames sont les seuls sons qu'elle entend d'ici. C'est calme, comparé à son village. Ça lui fait du bien. Elle sait que lui, il ne lui reproche pas de vouloir partir et combattre, contrairement à sa sœur qui ne la soutient pas du tout dans ses projets. Elles sont différentes, et pourraient se compléter, plutôt que ce soit source de tensions. Solvej regrette un peu ces tensions entre elles, mais elles ne la feront pas renoncer pour autant. Petite, quand elle s'entraînait avec son frère, elle savait déjà combien cela la faisait vibrer. Elle s'approche de Thorsteinn, disant qu'il pensait qu'elle avait abandonné l'idée de venir ce soir. Elle ne lui ferait clairement pas faux bond, pas alors qu'elle lui est reconnaissante de ce qu'il fait pour elle. « Pourquoi j'abandonnerais ? » demande-t-elle, avec un tout petit sourire. Elle ne voit pas de raison à cela, et il sous-estime probablement combien elle tient à ces moments-là. Elle se sent libre... Libre d'être elle-même et de laisser aller son instinct guerrier. « Tu sais que je ne raterais cela pour rien au monde. » ajoute-t-elle. Elle dépose sa torche, histoire de pouvoir dégainer l'épée de son père. Elle y tient au moins autant que lui.

Tu ne sais pas vraiment ce que tu fais là, mais les doutes se dispersent lorsqu'elle te répond avec assurance. Solvej s'approche de la source de chaleur et de lumière et tu aperçois son sourire que tu interprètes comme un signe de défi. N'ose pas douter de sa volonté, te dit ton instinct. Ne remets pas en cause ce dont elle est capable pour arriver à ses fins. Ses paroles ont peut-être d'abord été celles d'une jeune rêveuse, pourtant elles se sont concrétisées en entraînements. Tu la voyais errer dans la forge et admirer les armes, son initiative aurait pu s'arrêter là. Tu as d'ailleurs été surpris quand tu l'as remarquée à nouveau, et que tu as compris qu'elle venait fréquemment. Encore une fois, elle aurait pu se contenter d'imaginer ses prouesses guerrières à la vue des épées et des lances. Parfois, les rêves en sont parce qu'ils le restent. Dans un élan un peu trop sociable pour toi, tu lui as demandé si elle voulait essayer une saxe. Tu n'aurais sans doute pas imaginé que, progressivement, elle en vienne à te demander de la pratique. Encore moins que tu acceptes, tel un insecte attiré par les flammes.

Sa chevelure rousse flamboie à l'éclat de celles qui vous sépare, les reflets voyageant au gré de ses mouvements, s'incarnant un instant dans la lame qu'elle dégaine. Tu as arrêté ton travail sur les tiennes, et c'est à ton tour d'étirer un sourire face à tant d'empressement. Tu as appris, en effet, que ses rêves sont plus que ça, une véritable ambition. Elle n'a jamais manqué un rendez-vous, alors pourquoi celui-ci ? Simplement parce que ta raison le voudrait. Cette même raison qui ne parvient pas à endiguer ce sentiment de fascination qui te coupe de toute lucidité à l'encontre de Solvej. Tu vis dans le passé, ou le passé te hante. Elle t'offre un aperçu de ce qu'aurait pu devenir Hildr, et tu ne peux te résoudre à l'ignorer. Tu es subjugué par sa passion et sa détermination, soufflé par sa facilité d'apprentissage. Tu aurais voulu voir cette ardeur et aisance se développer chez ta cadette, alors tu soutiens Solvej. Même si cela présente des risques, tu veux l'aider à atteindre son but. Même si ça ne changera pas le passé.

« Je le sais, pourtant, oui... Ce que je ne sais pas, c'est ce dont tu serais capable si, moi, j'annulais ! »

Tu lui réponds avec un regard malicieux, une expression amusée animant ton visage, tout en te relevant. Tu as précédemment rangé l'épée superflue et la pierre, et te voilà face à Solvej, arme au poing. Tu t'éloignes du feu et te places afin que vous ayez suffisamment d'espace pour bouger facilement. Sans aller trop loin pour ne pas combattre à l'aveugle.

« Prête ? », lui demandes-tu alors que tu te mets en garde.

Les exercices rébarbatifs sont terminés, vous en êtes au duel pour évaluer la mise en pratique des conseils qu'elle a reçus et sa prise d'initiative. Pour faire simple, elle doit maintenant montrer qu'elle a retenu quelque chose. A l'instant même où tu lui poses la question, tu t'exhortes intérieurement à la prudence. Maîtrise tes gestes. Retiens tes coups. Surveille ta force.